16 janvier 2012

Hôtel de la Païva

J'ai eu la chance de pouvoir visiter le 7 janvier l'hôtel de la Païva au 25 avenue des Champs-Élysées. L'hôtel de la Païva est un magnifique hôtel particulier, classé au titre des monuments historiques, construit par Thérèse Lachman, alias La Païva, entre 1856 et 1865 et qui abrite aujourd'hui le Travellers Club. En voici quelques photos ci-dessous...



Source : BnF/Gallica
Dictionnaire des pseudonymes, page 330
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5600921q

Païva (Mme de). La grande dame si longtemps connue à Paris sous ce nom par son luxe, son grand train de maison, sa fastueuse installation aux Champs-Elysées et à Pontchartrain, a eu des origines qui ne permettaient guère de lui prévoir une si haute fortune.

Elle se nommait Pauline-Thérèse Lachman et avait épousé, en premières noces, en 1836, un tailleur de Moscou du nom de François Villoing. Ayant quitté son mari pour venir à Paris, elle y fit la connaissance du pianiste Henri Herz, dont bientôt elle se fit passer pour être la femme, bien que son mari légal vécût encore. Ce premier mari étant mort à son tour en 1850, elle épousa, sérieusement cette fois, un riche Portugais, M. Araujo de Païva, qui n'a rien de commun avec l'ancien ambassadeur du Portugal à Paris, et qui la laissa bientôt veuve une seconde fois. Elle convola alors, en troisièmes noces, avec un cousin de M. de Bismarck, le comte Henckel de Donnesmark, préfet français à Colmar. En 1870, cet ancien Prussien retourna à sa première patrie, et, comme lui, sa femme devint Prussienne. C'est à dater de ce jour que l'hôtel des Champs-Elysées, dont Baudry a illustré les plafonds de son merveilleux pinceau, a été déserté à jamais.

Mme de Donnesmark est morte en Silésie, dans une des propriétés de son dernier mari, à l'âge de 72 ans (janvier 1884).

Source : BnF/Gallica
La vie parisienne, page 46
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5512582p/f58.image.r
page 46

MADAME DE PAIVA

23 janvier 1884.

Il y a quelque part en Allemagne, au fin fond de la Silésie, un château magnifique, perdu dans de vastes exploitations minières, où les dévots des Tuileries disparues, s'ils poussent la dévotion jusqu'à faire ce long voyage, retrouveront dans son intégrité, et vierge des outrages de la Commune, la vieille demeure de nos rois.

C'est le château de Newdelck, où s'est éteinte mardi soir, à quatre heures, la comtesse Henckel de Donnesmark, plus connue des Parisiens sous le nom, jadis célèbre, de madame de Païva.

Cette reconstitution, accomplie par l'architecte Lefuel, un des grands amis de la défunte, avec la même religion artistique que M. Viollet-le-Duc mit à reconstituer Pierrefonds, fut une des innombrables fantaisies royales dont cette remueuse de millions émailla son étonnante carrière.

On peut, parce simple détail, se faire une idée de sa colossale fortune ; et, si l'on songe à l'humilité de ses débuts, on comprendra de quelle volonté féroce il fallut qu'elle fût armée pour la conquérir.

La volonté fut, effectivement, la qualité maîtresse de madame de Païva, je pourrais dire sa vertu, si je ne craignais que, dans l'espèce, ce mot ne fît quelque peu sourire.

Elle s'appelait, de son nom de famille, Pauline-Thérèse Lachmann, et elle était née dans une province de la Russie. Le 11 août 1836, entre la vingtième et la trentième année -- on ne sait pas au juste -- elle épousait un pauvre tailleur de Moscou, nommé François Villoing. Ce mariage, sans amour, ne fut pour elle qu'une première étape vers la vie libre. Un beau matin, laissant là son pauvre diable de mari, qui tirait l'aiguille, et son fils, qui braillait dans ses langes -- car elle était mère depuis quelques mois -- elle partit à la conquête du monde.

Paris était son objectif. Paris est la flamme qui fascine tous ces jolis papillons et qui les consume lorsque, comme l'acier, il ne s'y trempent pas. Mais la chance, qui sourit aux belles filles, lorsqu'elles sont décidées à tout, lui fit d'abord grise mine. Elle eut froid, elle eut faim, et, par une glaciale soirée de décembre, on la ramassa, mourante, dans l'avenue des Champs-Elysées, en face du Jardin d'hiver. Le passant providentiel qui, généreux comme le sont les artistes, accomplit ce sauvetage, était un illustre virtuose du piano. Cette rencontre fut l'ébauche d'un roman qui tomba bientôt dans les banalités de la vie réelle, car, à quelque temps de là, des « faire-part » répandus à profusion dans Paris, annoncèrent le mariage de M. H. H... (note GD : il s’agit de Henri Herz) avec mademoiselle P. T. L... (Thérèse Lachman) Mariage on ne peut plus apocryphe, car François Villoing tirait encore l'aiguille et la tira jusqu'en 1849, date officielle de sa mort.

Cependant, madame H... prenait au sérieux son rôle de femme légitime : elle eut un état de maison, accompagna son « mari » dans toutes ses tournées artistiques, et n'eut de repos -- car elle était ambitieuse -- qu'il ne l'eût conduite à la cour. Faiblesse stupide, dont ils devaient cruellement se repentir l'un et l'autre. La beauté radieuse de madame H... avait surexcité bien des jalousies ; on avait, en consultant l'état civil, acquis la preuve que ce ménage charmant était un faux-ménage, et quand la belle irrégulière fit son entrée triomphante dans la salle des Maréchaux, un aide de camp s'approcha d'elle, et lui dit tout bas :

-- Madame, vous vous êtes trompée de porte ! Elle comprit et tourna les talons, traînant après elle le pauvre H..., tout honteux et tout décontenancé. Et tandis qu'ils regagnaient leur logis, pelotonnée dans un coin de la voiture, elle disait, mordillant ses dentelles :

-- Les imbéciles ! J'étais la plus distinguée entre les pécores qui se trouvaient là ! S'il y avait des éliminations à faire, c'est par moi que l'on devait finir et non pas commencer !

Désormais, H... n'était plus pour elle un pavillon suffisant ; elle rompit sans un regret, sans une larme. Elle ne voulait pas seulement la fortune, elle avait encore la nostalgie de la considération et du respect. Désespérant de les trouver à Paris, elle partit pour Londres. Là, commença pour elle une vie de luttes, de déceptions et d'angoisses, qui se serait infailliblement dénouée par le suicide, si la propriétaire de son humble garni ne l'en eût dissuadée :

-- Vous avez, lui dit-elle, tous les dons du ciel, la jeunesse, l'intelligence et la beauté. Mais vous ignorez l'art de vous en servir, Il vous reste quelques toilettes. J'ai pour ce soir une loge à Covent-Garden, allez-y, montrez-vous à nos gentlemen dans cette jolie toilette blanche qui vous sied à ravir et vous rend irrésistible. Que risquez-vous ? Si l'amorce ne prend pas, il sera toujours temps de vous tuer demain !

La ci-devant madame H... écouta les conseils du « mauvais ange », et le lendemain elle avait dix fortunes à ses pieds.

Elle en fît deux parts, croquant l'une à belles quenottes et emmagasinant l'autre avec la prévoyance d'une fourmi. Cela fait, elle revint en France, où elle avait une revanche à prendre, et elle s'installa somptueusement place Saint-Georges, en face de l'hôtel de M. Thiers, dans cette curieuse maison à sculptures gothiques, aujourd'hui remplacée par un immeuble de rapport, mais qui, en 1840, lorsque l'architecte Renaud l'avait bâtie, avait fait sensation dans la capitale. L'argent purifie tout, et, en très peu de temps, son salon où, la première, elle sut réunir tous les raffinements du confort moderne, devint un des plus recherchés de Paris.

La revanche commençait : elle ne fut complète que lorsque, le tailleur Villoing étant mort, sa veuve put se payer le luxe d'épouser en secondes noces, le 5 juin 185 1, un véritable « grand de Portugal », comme on dit dans Tête de Linotte, le marquis Fr. Araujo de Païva.

C'est surtout au mariage qu'elle tenait. Quant au mari, dont elle ne se souciait guère, il disparut bientôt de son existence. Après une courte excursion à Lisbonne, elle revint seule et reprit, cette fois, dans une maison voisine de l'Arc-de-Triomphe, ses dîners et ses réceptions, dont l'illustre Delacroix, Emile de Girardin, Arsène Houssaye, Lefuel, le bibliophile Jacob, Ponsard, Emile Augier, Théophile Gautier et le comte Henckel de Donnesmark, son troisième mari -- en perspective -- étaient alors les hôtes les plus assidus.

Elle les y attirait par son esprit aimable, par son intelligence des choses artistiques, par sa grâce familière, et par ses allures de « bon garçon » fidèle à ses amitiés dont elle ne s'est jamais départie.

Un soir qu'Arsène Houssaye, contrairement à ses habitudes, s'était enfoncé dans un fauteuil, tout rêveur :

-- Qu'avez-vous donc, cher ami? lui dit-elle. Méditeriez-vous quelque sonnet ?

-- Hélas, non ! répondit l'auteur des Grandes dames, je songe que, si j'avais cent mille francs, j'empêcherais peut-être le Jardin d'hiver, cette merveille d'élégance, de devenir la proie des entrepreneurs de maçonnerie!

-- Etes-vous bête ! fit la marquise.

Et, prenant dans son secrétaire un carnet de chèques, elle écrivit sur un des coupons : Bon pour cent mille francs. Puis, le tendant au poète :

-- Tenez, ajouta-t-elle, faisons l'affaire à nous deux. Vous m'aiderez, de cette façon, à réaliser un vœu que j'ai fait il y a bien longtemps. Le soir où ce pauvre H..., m'a ramassée, mourante, devant le Jardin d'hiver, je me suis juré que, lorsque je serais riche -- elle ne disait pas « si jamais je suis riche,» tant était grande sa foi dans l'avenir -- je ferai construire un hôtel en cet endroit. Vous voyez que le hasard lui-même se fait mon complice !

Houssaye prit le chèque, et au dos d'une lettre il traça ces quelques mots :
« Reçu de la marquise de Païva cent mille francs que je lui rendrai dimanche prochain. »

La marquise jeta les yeux sur le papier, le froissa dans ses doigts roses et l'approcha d'une bougie, en disant :

-- Ce diable d'Houssaye, il sait tout, même faire les reconnaissances !

C'est par ces façons qu'elle conquérait son monde et que, dans ce bel hôtel de l'avenue des Champs-Elysées dont l'escalier d'onyx rivalise avec celui de l'Opéra, et qu'illustrent les chefs-d’œuvre de Baudry, de Cabanel, de Gérôme, etc., elle sut grouper jusqu'à la guerre de 1870 l'élite des beaux esprits contemporains.

Ses dîners sont restés célèbres. Les serres de Pontchartrain, cet admirable domaine où régna La Vallière, et qu'elle avait acquis du comte d'Osmond, ne « travaillaient » qu'à fournir à ses convives des pêches au mois de janvier.

N'y était pas admis qui voulait. Jamais la finance -- et ce fut un de ses grands griefs contre la marquise -- ne réussit à forcer les portes si bien closes de cet Eldorado, dont nul n'a pu dire : Qui paye y va !

Elle ne voulut autour d'elle que des amitiés solides, et elle réussit à réaliser ce rêve ambitieux. Aussi faut-il reléguer dans la légende ce vers qu'on accuse Emile Augier d'avoir écrit sur son album :

Ainsi que la vertu le vice a des degrés...

par allusion à son escalier splendide, et cette prétendue réponse de Théophile Gautier, qu'on interrogeait sur l'avancement des travaux de l'hôtel :

-- Ça va bien... on a déjà posé le trottoir !

On sait le reste. La guerre de 1870 rompit cette chaîne sympathique, et rien ne la put ressouder. Le vide se fit autour de celle qui, dans l'intervalle, était devenue la femme du comte Henckel de Donnesmark, le cousin du chancelier de fer, l’ex-proconsul d'Alsace-Lorraine. Ceux de ses fidèles qui n'avaient pu, malgré tout, oublier vingt ans d'hospitalité charmante, n'allèrent plus chez elle qu'à la dérobée, en manteaux couleur de muraille. Elle ne fit plus à Paris que de courtes apparitions, et s'exila, mélancolique, au fond de son château de Silésie, dont l'architecture lui rappelait les années heureuses. Elle y est morte à l'âge de soixante-douze ans.



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