28 mai 2006

Les trois Furmeyer par Joseph Roman

Source :

BnF/Gallica : Société de l'histoire du protestantisme français. 1882 (T. 31), page 359. http://gallica.bnf.fr/document?O=N065772
Le premier capitaine protestant dont il soit fait mention à propos des guerres religieuses dans le Haut Dauphiné, est Antoine Rambaud, seigneur de Furmeyer. Il fournit une carrière brillante mais éphémère, puisqu'il n'est pas question de lui hors des années 1562 et 1563. Videl, Chorier et les autres historiens qui ont prononcé son nom dans leurs ouvrages ne sont d'accord ni sur sa vie, ni sur sa mort, ni même sur son prénom, puisque les uns le nomment Jacques et les autres Antoine. Quelques documents nouveaux que j'ai pu recueillir me permettent de compléter la biographie de ce personnage et de donner sur sa famille des détails inédits.

Ce ne fut pas un seul, mais en réalité trois frères Rambaud de Furmeyer qui embrassèrent le protestantisme et le soutinrent l'épée à la main dans le Gapençais. Le père de ces trois capitaines était Guélis Rambaud, coseigneur d'Ancelle, Montgardin, Montorsier et Furmeyer. II avait épousé Anne Matheron et professait la religion catholique avec un zèle ardent. Il mérita d'être gratifié par le juge épiscopal de Gap du produit d'une confiscation opérée sur Jean Farel, frère du réformateur Guillaume Farel, condamné pour crime d'hérésie. Cette confiscation avait été probablement opérée en 1541, à la suite d'un procès que Guélis Raimbaud avait peut-être contribué à faire naître; un arrêt du Parlement de 1547 le força du reste à restituer ces biens à leurs anciens maîtres.

Le nom des enfants de Guélis Rambaud et d'Anne Matheron nous est révélé par deux documents tout à fait authentiques, c'est-à-dire par les testaments de Jacques Rambaud leur père datés de 1576 et 1590. Il en résulte que Guélis Rambaud eut trois fils dont il sera parlé tout à l'heure et sept filles, qui furent mariées à autant de capitaines, qui tous ont été la souche de familles protestantes. Alix Rambaud épousa Pierre de Beaufort, de la Mure, dont la famille toujours fixée dans le même pays, s'est éteinte au XVIIIe siècle, fidèle à la réforme après avoir fourni pendant deux siècles de nombreux capitaines aux armées royales. Marguerite épousa Guillaume de Montorcier, coseigneur d'Orcières, Champoléon et Montorcier, descendant d'une très ancienne famille et dont le fils Benoît de Montorcier mourut à Gap en 1577, le dernier de sa race, après avoir embrassé la réforme et combattu pendant plusieurs années dans la compagnie des gens d'armes de Lesdiguières. Alix épousa Marcellin de Guibert, seigneur du Collet, dont la famille s'éteignit bientôt dans celle de Vulson, zélée protestante. Jeanne épousa Balthazard de Jouven, seigneur du Mas, père ou oncle du capitaine Roissas, qui défendit avec tant de courage et de succès la ville de Livron contre Henri III. Anne épousa Michel Gras, seigneur de Valgaudemar, dont la famille quelque temps protestante revint plus tard au catholicisme. Isabeau épousa Gaspard de la Villette, coseigneur de Veynes, et devenue veuve en 1568 elle présentait requête pour être autorisée à établir un temple dans son château. Enfin Marguerite épousa Simon de Montauban, seigneur de Sarfayes, du Villard, de Saint-André et de Notre-Dame en Bauchaine, dont les enfants héritèrent de presque tous les biens de la famille de Furmeyer et jouèrent un rôle prépondérant parmi les protestants du Gapençais et dans les armées de Lesdiguières.

Deux des fils de Guélis Rambaud, Daniel et Antoine, suivirent la carrière des armes, Le premier est connu seulement par la part active qu'il prit à la surprise de Romette en 1563, et par le testament de Jacques, son frère, daté de 1576. A cette époque il était déjà mort, laissant seulement un fils naturel nommé Abraham. On donne à Daniel Rambaud le titre de seigneur de la Buissière, je n'ai pu retrouver la terre dont il portait le nom. Le nom d'Antoine Rambaud, second fils de Guélis, apparaît pour la première fois à ma connaissance en 1556 avec celui de son père. Du reste pas plus de lui que de son frère Daniel on ne sait rien jusqu'aux guerres de religion. Tout ce qu'on peut affirmer c'est qu'il embrassa la carrière des armes.

Jacques Rambaud, troisième fils de Guélis Rambaud, nous est connu au contraire par de très nombreux documents; il entra dans les ordres, fut pourvu d'un canonicat au chapitre de Saint-Arnoul de Gap et obtint l'une des deux prébendes de Montalquier situées dans le territoire même de cette ville. A la mort d'Antoine de Rousset, prévôt du chapitre, arrivée de 1555 à 1558, il fut même choisi par ses collègues pour le remplacer et il existe dans les archives des Hautes-Alpes une foule de pièces signées de lui en cette qualité à cette époque, Il signait uniformément Jacques Rambaud.

La réforme ne tarda pas à entrer dans la famille Rambaud et voici par quelle voie. Marguerite Rambaud, soeur des trois Furmeyer, avait épousé, comme nous l'avons vu, Guillaume de Montorcier; Jeanne de Montorcier, leur fille, épousa en 1547 Jean Farel, apothicaire à Gap, et frère du réformateur Guillaume Farel. Jean Farel devint donc par cette alliance neveu des Furmeyer. Son ardeur de prosélytisme nous est connue entre autres documents par une déposition d'un certain Alvat, notaire à Manosque, et par un jugement du juge épiscopal de Gap qui le condamne à la confiscation d'une partie de ses biens pour crime d'hérésie, il est donc très probable que ce fut son influence qui détermina les familles Rambaud et Montorcier à embrasser la réforme.

Plusieurs membres du clergé de Gap avaient adopté les idées nouvelles; à leur tête il faut placer l'évêque Gabriel de Clermont et après lui Jacques Rambaud, prévôt du chapitre. Cette conversion nous est connue par une mention du registre des assemblées capitulaires de Mutonis, notaire épiscopal. On y lit sous la date du 2 avril 1562 un procès verbal duquel il résulte qu'à la place de Jacques Rambaud, déchu pour incapacité ou hérésie, les chanoines ont élu prévôt du chapitre de Gap leur collègue Barthélemy Martin. Jacques Rambaud en perdant son titre de prévôt, conserva néanmoins jusqu'au 17 octobre 1566 l'usage de sa prébende de Montalquier; il consentit à cette époque à la résigner entre les mains du chanoine Antoine Michel.

Cet acte de rigueur du chapitre de Gap à l'égard de Jacques Rambaud fut probablement la cause immédiate de la prise d'armes des protestants du Gapençais; ce fut en effet le 2 mai, c'est-à-dire dix jours plus tard, qu'Antoine Rambaud, celui qui porte par excellence le nom de capitaine Furmeyer, s'empara de Gap sans coup férir à la tête de quelques centaines d'habitants du Champsaur. Rien n'avait été préparé pour la défense, aussi y eut-il peu de sang versé; par contre les monuments ecclésiastiques furent extrêmement maltraités. Il résulte de documents positifs que la ruine de la cathédrale de Gap, de plusieurs autres églises, du palais épiscopal et de la maison canoniale, jusqu'ici attribuée mal à propos à Lesdiguières, furent le fait des soldats de Furmeyer. Les protestants pillèrent également le trésor du chapitre et détruisirent la plupart des reliques : deux inventaires de ce trésor datés de 1550 et 1566 démontrent que tous les objets de valeur qui en faisaient partie, étaient à cette dernière époque ou en gage ou entre les mains des huguenots.

Nous allons suivre maintenant Furmeyer dans ses courses aventureuses à travers le Dauphiné et la Provence.

Le 4 mai Furmeyer somme Tallard, bourg voisin de Gap, de se rendre; après avoir fait attendre huit jours leur réponse, les bourgeois refusent. Le 4 mai Furmeyer y entre en vainqueur, s'empare du trésor de l'église et emmène des otages.

Gap et ses environs soumis, Furmeyer rentre dans le Champsaur, traverse le Triève, et nous le retrouvons au commencement de juin à Grenoble, auprès du baron des Adrets. Le 4 du même mois il se présente avec ses soldats aux portes de la Grande Chartreuse, sous prétexte de rechercher des armes et des munitions cachées, mais en réalité pour faire main basse sur les richesses de ce couvent.

Peu de jours après il remonte dans le Gapençais, puis descend en Provence. Le 15 juin il s'enferme, avec ses soldats parmi lesquels était le jeune Lesdiguières, dans Sisteron, assiégé par les catholiques. Il prend part pendant près de deux mois à la défense de la Place; puis jugeant toute résistance impossible après la destruction d'un petit corps d'armée amené par Montbrun au secours de ses coreligionnaires, il quitte Sisteron à la fin du mois d'août, rentre à Gap, l'abandonne le 4 septembre, emmenant avec lui quatre cents soldats et va rejoindre à Valence le buron des Adrets. Après avoir pris part aux combats qui eurent lieu sur les bords du Rhône entre le baron des Adrets et le duc de Nemours, il fut envoyé par le chef des protestants à Grenoble pour faire lever le siège de cette ville investie par les catholiques. Il y arriva le 16 novembre; sa troupe un peu grossie depuis sa sortie de Gap, se composait de cent cavaliers et de cinq ou six cents fantassins, tandis que le baron de Sassenage assiégeait Grenoble à la tête de six mille hommes. Traversant le Diac avec une audace incroyable sous le feu de leurs ennemis, ses soldats culbutèrent cette armée dix fois plus nombreuse que la sienne et délivrèrent Grenoble.

Du 27 janvier au 6 février 1553 eut lieu la réunion des états de Valence, sous l'influence des réformés; le baron des Adrets y fut privé de son commandement, Crussol nommé chef des protestants à sa place et Furmeyer élu membre du conseil de défense du Dauphiné avec Montbrun, Saint-Auban et Mirabel.

A peine les états terminés, Furmeyer rentre dans le Gapençais avec le frère de Crussol et cherche à barrer le chemin à Suze et à Maugiron, qui avec une petite armée se dirigeaient de Sisteron sur Grenoble, traînant avec eux de l'artillerie pour faire le siège de cette ville. Furmeyer ne fut pas assez fort pour les arrêter, mais pendant douze jours il les harcela constamment, de sorte qu'ils n'eurent pas le courage d'entreprendre le siège de Grenoble et durent aller faire reposer leurs troupes. Immédiatement après le passage de l'armée catholique, Furmeyer se jette sur le village fortifié de Romette, près de Gap, et s'en empare avec l'aide de son frère Daniel, sieur de la Buissière. Le 13 mars il fait pendre la garnison et inflige aux milices Gapençaises qui la voulaient secourir, une sanglante défaite près du torrent du Buzon.

Peu de temps après la paix fut conclue entre les deux partis et le maréchal de Vieille-Ville vint la faire exécuter en Gapençais. A partir de ce moment les noms d'Antoine et de Daniel Rambaud disparaissent de notre histoire. Videl est le seul historien qui parle de la fin du capitaine Furmeyer et il prétend qu'il fut assassiné. Je n'ai pu trouver la preuve positive de ce fait, mais je suis parvenu à retrouver la date à laquelle il a dû se passer.

On a vu plus haut que l'ancien prévôt du chapitre de Gap signait toujours Jacques Rambaud avant son abjuration; ses testaments au contraire et d'autres documents sont signés Furmeyer, preuve qu'àlors il avait succédé dans cette seigneurie à son frère aîné. Quand a-t-il remplacé la première signature par la seconde, tout le problème est là.

Or les protocoles de Mutonis, notaire et secrétaire capitulaire de Gap, contiennent l'acte de résignation par Jacques Rambaud entre les mains d'Antoine Michel, de la prébende de Mont-Alquier qu'il possédait encore malgré son abjuration. Cet acte signé Furmeyer et daté du 7 octobre 1566, prouve qu'à cette époque Antoine Rambaud était mort et que Jacques son frère lui avait succédé dans la possession de la terre de Furmeyer.

Il est à présumer même que cet évènement eut lieu soit dans les derniers jours de l'année précédente, soit dans les premiers jours de janvier de 1566. Je possède en effet une expédition authentique d'une ordonnance du vibailli de Gap datée du 9 janvier 1566 dans laquelle ce magistrat décide, qu'à la suite des nombreux meurtres et rapines commis dans la ville de Gap à l'occasion de la misère et de l'épidémie qui y sévissent, il croit indispensable de nommer un magistrat spécial pour veiller à la sécurité publique et il choisit pour remplir ces fonctions nobles, Benoît de Flandria. Il est possible que le capitaine Furmeyer ait été assassiné au milieu des émeutes qui ensanglantèrent à cette époque la ville de Gap; il avait dû se créer comme chef des protestants de nombreux ennemis qui prirent certainement, suivant les moeurs du XVIe siècle, le premier prétexte venu pour se débarrasser de lui impunément.

Des trois frères Rambaud, Daniel fut celui qui joua le rôle le plus effacé. J'ignore l'époque de sa mort, mais elle eut lieu certainement avant 1576, puisque Jacques Rambaud, son frère, dans son testament daté de cette année fait un legs à Abraham fils naturel de feu son frère Daniel. Les descendants de ce fils naturel ont vécu obscurément pendant près d'un siècle dans la ville de Gap, et cette branche bâtarde s'est éteinte dans la personne de Françoise Rambaud, mariée en 1663 à Jean Siméon, bourgeois de Remollon, arrondissement d'Embrun.

Après la mort de ses deux frères, Jacques Rambaud, qui ne parait pas avoir été un homme de guerre, s'occupa de diverses négociations.

Il fut l'un des commissaires chargé par les réformés de régler avec la reine Catherine de Médicis, les conditions de l'établissement de la paix de Poitiers en Dauphiné; à cet effet il se trouva à Montluel en Bresse le 20 octobre 1579 et discuta avec la reine les prétentions de ses coreligionnaires. Un article spécial de la requête présentée à cette occasion par les protestants à la reine mère, stipule que Furmeyer ne pourra pas à l'avenir être inquiété pour son passé.

Il fut également choisi pour être l'un des députés qui du 12 mai au 17 juin 1581 conférèrent dans le bourg de Mens avec les commissionnaires du parlement de Grenoble pour tâcher, mais inutilement, de rétablir la paix en Dauphiné.

Enfin au mois de juillet 1588 il fut choisi avec Marquet par Lesdiguières pour traiter avec Saint-Jullin, gouverneur du Gapençais pour les catholiques, d'une trêve pour les villes de Gap et de Tallard.

Après avoir renoncé au catholicisme, Furmeyer épousa Louise de Moustiers, fille du seigneur de Ventavon; ce mariage est nécessairement antérieur à 1576, puisque dans son testament daté de cette année, il en fait déjà mention. Il est également certain que Jacques Rambaud n'eut aucun enfant de ce mariage et fût le dernier de sa famille, car il donne tous ses biens à des collatéraux.

Il passa les dernières années de sa vie dans son château d'Ancelle-en-Champsaur. Il avait converti au protestantisme la plus grande partie de ses vassaux et avait établi dans ce village une église qui subsista jusqu'à la révocation de l'édit de Nantes.

II fit restaurer le château seigneurial dont il ne reste plus maintenant que des décombres; la porte principale seule existe encore en partie, elle a été utilisée pour construire la porte d'une maison de pauvres cultivateurs. Les pieds droits se composent d'assises de pierres de taille alternativement plates et vermiculées; au haut on voit un grand écusson ovale de la famille Rambaud avec ses armoiries; d'azur au pin d'or surmonté d'une colombe essorante de même. Cette sculpture porte tous les caractères de la fin du XVIe siècle.

Il existe deux testaments originaux de Jacques Rambaud, le premier de 1576 et le second de 1590; la mort du testateur ne tarda pas sans doute à suivre ce dernier acte de ses volontés. Il en résulte qu'il mourut sans postérité; il n'y est fait aucune mention de son frère Antoine, mort probablement sans alliance; il n'y est parlé de son frère Daniel qu'à l'occasion d'un legs fait à Abraham, son fils naturel. Il partage sa fortune entre les enfants de ses soeurs; le plus favorisé est Gaspard de Montauban du Villard, fils de Simon de Montauban, auquel il lègue les coseigneuries d'Ancelle, de Montgardin et de Montorcier. Après lui viennent les enfants de Gaspard de la Villette, auxquels il donne ses terres de Furmeyer et de Veynes.

La famille de Montauban, dont une partie émigra au moment de la Révocation de l'Édit de Nantes, s'éteignit au commencement du XVIIIe siècle. Celle de la Villette au contraire a conservé jusqu'en 1789 les seigneuries qui lui venaient de Jacques Rambaud, seigneur de Furmeyer. Elle existe encore, mais rentrée d'émigration dans un état de fortune peu prospère, elle n'a pas tardé à quitter le Dauphiné.

J. ROMAN

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