11 novembre 2005

Dauphiné : La généalogie de Stendhal 3

Revue Mercure de France - n° 674 - 15 juillet 1926
BnF/Gallica : http://gallica.bnf.fr/document?O=N0202006
pages 336 à 354
Ici se pose une question que nous avions déjà cherché à résoudre : Pour amplement possessionné qu'il fut à Autrans, Ambroise Beyle en était-il originaire, et les biens qu'il y détenait provenaient-ils de ses ascendants ? A première vue, il semblerait que oui, mais, à la réflexion, l'assurance diminue, puis disparaît. Ambroise Beyle et ses enfants sont les premiers et les seuls de leur nom qu'enregistrent les actes paroissiaux d'Autrans. Le parcellaire de 1636 ne mentionne aucun autre Beyle. Le terrier des marquis de Sassenage cite bien un François Boué ou Bouvier-Beyle qui, en 1613, se reconnaît emphytéote d'une quartelée de pré. Mais cette parcelle venait de la famille Eynard-Bertrand et, en 1654, elle passa dans la famille Gerin-Douet, ce qui tendrait à prouver qu'entre François Bouvier-Beyle et Ambroise Beyle, il n'y avait aucun lien.

Les biens du Vergne, ou de la Vergne, pouvaient provenir, soit d'un mariage, soit d'un achat. Ils avaient été détachés d'un ensemble appartenant à la famille Bonthoux-Cottel, dont un des membres, qualifié, comme Ambroise Beyle, de marchand, en conservait encore une partie en 1646. La femme d'Ambroise aurait-elle été une Bonthoux-Cottel ? On ne saurait le dire, car le drapier coprudhomme fut veuf de bonne heure et nulle part, dans les actes paroissiaux, tous postérieurs à 1643, n'est cité le nom de sa femme. La conjecture, toutefois, offre peu de vraisemblance car, à moins d'être seule héritière, une fille n'emportait ordinairement pas les terres dans la famille de son mari. Il reste donc qu'Ambroise Beyle ait acquis lui-même ces fonds avec les gains de son trafic, et c'est l'hypothèse la plus probable.

Mais alors, d'où venait le quatrième aïeul de Stendhal ? Ici, deux solutions se présentent, fondées sur des indices plus ou moins probants. Suivant la première, Ambroise Beyle serait originaire de Méaudre. Il y avait des Beyle dans cette commune, tandis qu'il n'y en avait pas à Autrans. Une famille de ce nom y existait dès le début du XVIIe siècle et s'est maintenue jusqu'à nos jours, au hameau de la Truite, qui est presque à la limite des deux villages. La maison et les terres qu'Ambroise Beyle possédait sur Méaudre seraient-ils donc des biens patrimoniaux qu'auraient ensuite grossis les acquisitions d'Autrans ? On pourrait le croire, lorsqu'on observe qu'une de ces terres, une pièce de six sétérées et deux quartelées au lieu dit « en Chorot », confinait au midi un pré et terre appartenant à Christophe Beyle, de Méaudre. Cette contiguïté de biens entre gens du même nom accuse généralement une parenté. Mais, il faut le reconnaître, ces indices pourraient être trompeurs. D'abord, la terre de Chorot est seule dans le cas que l'on vient de dire. Les autres pièces, appartenant à Ambroise Beyle ou à ses descendants sur la commune de Méaudre, provenaient, non des Beyle, mais de deux autres familles les Chabert-Mollin et les Fanjat-Racloz-Boudet.

Ensuite, le grand nombre de Baille, Bayle ou Beyle en cette région et dans tout le Dauphiné, doit nous mettre en méfiance. Il y en avait non seulement à Méaudre, mais à Rencurel et à Saint-Julien-en-Vercors. Il y en avait à Engins, à Uriage, à Grenoble et dans la vallée de l'Isère : on trouve en 1646 un Claude Baille notaire à Tullins. On en voit jusque dans la vallée du Rhône : en 1701, des Beyle sont maîtres tisserands à Vienne.

Notons enfin qu'une Catherine Beyle, d'Autrans, petite-fille de Benoît et arrière-petite-fille d'Ambroise, pourra, sans le moindre empêchement de consanguinité, épouser, le 24 juin 1742, un Christophe Beyle, de Méaudre, probablement l'arrière-petit-fils du Christophe dont les terres limitaient celles d'Ambroise.
commune: AUTRANS
22 06 1742
Epoux: BEYLE Christophe
Prénom père époux: Boniface
Mère époux: BUISSON Marguerite
Epouse: BEYLE Catherine
Prénom père épouse: Benoit
Mère épouse: MOREL Elisabeth
Observations diverses : "vf GAILLARD E lisabeth, marchand à Méaudre, vve FAURE Pierre"

Commune: AUTRANS
11 10 1707
Epoux: BELLE Benoit
Père époux: + Benoit
Epouse: MOREL BEDOT Elisabeth
Père épouse: Barthélémy
Mère épouse: REPELLIN GONON Anne

Naissance
commune: AUTRANS
18 02 1672
sexe: M
Nom: BAYLE Benoît
Prénom père: Benoît
Mère: MERLERY Benoîte
parrain: REPELLIN GONON Benoït
marraine: BAYLE Marie (de LANS)

commune: AUTRANS
25 11 1670
Epoux: BAILLE Benoit
Père époux: Gambridge
Epouse: MILLON Benoite
Père épouse: Barthélémy
S'il y avait parenté entre les deux familles, elle devait donc être assez éloignée car, sous l'ancien régime, les empêchements de consanguinité étaient relevées jusqu'au quatrième degré, parfois au delà.

Le mariage d'une fille d'Ambroise Beyle, Françoise, avec un jeune homme de Saint Julien en Vercors, Claude Rochas mariage célébré à Autrans le 17 novembre 1647, semble plus révélateur que la contiguïté de terres de Méaudre.
Commune: AUTRANS
canton: Villard de Lans
17 11 1647
Epoux: ROCHAS Claude
Père époux: + Claude
lieu (origine, habitation...): St Julien en Vercors
Epouse: BELLE Françoise
Père épouse: Ambroise
lieu (origine, habitation...): Autrans
Nous l'avons déjà dit, les relations entre Autrans et Saint Julien en Vercors étaient alors loin d'être faciles. Elles le sont davantage aujourd'hui et le voyage d'un de ces villages à l'autre n'est plus, dans la belle saison, qu'une excursion pittoresque. Par Méaudre et la route qui longe la rivière de Méaudre, on atteint, aux Jarrauds, la vallée de la Bourne où l'on redescend le lit de cet admirable torrent, précisément dans la partie qui traverse les célèbres gorges. Passé le pont romantique de la Goule Noire, une montée d'environ deux heures, et par une bonne route, mène à Saint- Julien.

Mais sous Louis XIII et la régence d'Anne d'Autriche, aucune de ces routes n'était tracée. Pour aller d'Autrans à Saint-Julien, il fallait aller franchir au Pas de Pertuzon la chaîne escarpée qui s'élève à l'ouest d'Autrans. On descendait ensuite sur Romeyère et Rencurel, on passait la Bourne à La Balane et l'on mourait à Saint-Julien par de mauvais chemins très roides qui suivent le lit d'un ruisseau. C'est une excursion que l'on peut encore faire sans être alpiniste, mais elle exige de bonnes jambes et de forts souliers ferrés.

Le secrétaire de l'évêque de Grenoble, Mgr Le Camus, qui gravit le Pas de Pertuzon avec ce prélat, le 10 juin 1673, au cours d'une tournée pastorale, le qualifie de « très rude et périlleux pour les chevaux ». Aujourd'hui, les mulets eux-mêmes ne le passent point sans peine. Presque abandonné, jamais entretenu, le chemin, ou plutôt, le sentier sous bois qui mène d'Autrans au col est certainement plus mauvais qu'au temps de Louis XIII. Il se perd à certains moments, dans les broussailles et les blocs de rochers. Quand on finit par l'atteindre, le Pas de Pertuzon se présente comme une étroite brèche entre deux murailles naturelles. De l'autre côté, la descente est à pic, par des échelons grossièrement taillés dans le roc.

On imagine, en ces chemins abrupts, le cortège nuptial de Françoise Beyle, au mois de novembre 1647 : l'épouse montée sur un mulet; l'époux, des parents et amis suivant, qui à dos d'âne, qui à pied. Comment les fiancés avaient-ils pu se chercher et s'unir, si loin, par des routes si âpres ? Il fallait qu'Ambroise Beyle fut connu à Saint Julien en Vercors et qu'il s'y rendit souvent, appelé par des relations de famille, peut-être même par des intérêts matériels. Sinon, comment un jeune homme de cette commune serait-il allé à Autrans lui demander la main de sa fille ?

Ce n'était pas son commerce qui pouvait pousser le drapier dans ces lointains parages. Il fallait, en ce temps-là, à cause de la difficulté des routes et de la multitude des péages, se borner à vendre en sa boutique, ou, çà et là dans les foires les plus proches. Mais Saint-Julien était un trop petit village, et trop écarté, pour jouir d'une foire. Y aller offrir sa pacotille était bon pour des colporteurs et des enfants de la balle, non pour un négociant ayant pignon sur rue.

Si Ambroise Beyle se rendait à Saint-Julien, ce n'était donc pas pour affaires, mais, répétons-le, pour raisons de famille. Et il fallait que cette famille fut proche, composée de parents immédiats on ne fait pas un voyage pénible pour aller voir des cousins éloignés, que l'on n'a pas, connus dès l'enfance. Or, il y avait des Beyle dans ce village, et leur nom s'écrivait, comme celui d'Ambroise, par un a. Certes, l'orthographe était alors si fantaisiste que la seule identité des noms ne permettrait de rien conclure.

Cependant, il faut distinguer le cas d'un paysan illettré et celui d'un homme cultivé, comme Ambroise Beyle. On doit admettre que ce marchand riche et instruit écrivait son nom comme on lui avait appris l'écrire en sa famille et dans son lieu d'origines. Or, tandis que les gens de loi et les prêtres rédacteurs des actes paroissiaux d'Autrans écrivaient son nom Baille, Ambroise signait Bayle, comme ses homonymes de Saint-Julien.

En décembre 1653, nous voyons un Jules Bayle cité parmi les « manans et habitans » de ce pays qui tiennent une réunion contre la répartition de la taille. L'année suivante, le « mardi de Pasque septiesme jour d'avril 1654 », un Jacques Bayle assiste à une réunion analogue sur la place de l'église. Quel était le degré de parenté entre ces Bayle et Ambroise ?

Nous ne pouvons malheureusement l'établir, car, tandis que les procès-verbaux des réunions dont on vient de parler ont été conservés, les anciens registres paroissiaux de Saint-Julien ont disparu. Mais cette parenté, nous ne croyons pas téméraire de la présumer, et même de la croire proche. Jules et Jacques Bayle devaient être, selon nous, des frères ou des neveux d'Ambroise. Sinon, encore une fois, le mariage d'une fille du notable autranais dans un village si éloigné ne s'expliquerait pas.

A suivre...

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